Genre littéraire : pourquoi ce mépris ?
Trop occupé·e pour tout lire ? Voici un résumé
Le genre littéraire, c’est une manière de classer les œuvres selon des caractéristiques communes : thème, style, structure, ambiance, époque, etc. C’est une étiquette qui aide les lecteurs à savoir à quoi s’attendre… et les libraires à ranger leurs rayons.
Cette classification n’est pas neutre. Le genre, c’est à la fois un outil marketing, une promesse faite au lecteur, et une contrainte à dépasser. Il a évolué avec les siècles, et les avancées technologiques et sociétales.
Ce qui compte vraiment, c’est ce que vous, vous faites de ce genre. Est-ce que vous le maîtrisez ? Est-ce que vous le tordez, l’explorez, le réinventez, l’assumez ? Est-ce que vous le défendez avec passion ?
“C’est marrant, chaque année, il y a quelqu’un pour faire un mémoire dans ce genre littéraire !”
Cette phrase, je l’ai entendue en 2016. J’étais encore étudiante en édition. Le genre littéraire en question ? La fantasy.
Mon professeur, en parallèle éditeur, venait de parler de mon sujet de mémoire d’un ton mi-amusé, mi-condescendant. Ça m’est resté.
Déjà, à l’époque, cette phrase résumait une hypocrisie profonde du monde du livre : tous les genres littéraires ne sont pas logés à la même enseigne.
Il y aurait d’un côté la vraie littérature, celle qu’on étudie à l’école depuis l’adolescence, celle dont on discute dans les médias. Et de l’autre, les genres “populaires”, ceux qui font vendre mais “ne comptent pas vraiment” : la fantasy, la romance, la science-fiction, le polar, les mangas….
En tant qu’auteur·ice ou lecteur·ice, ce regard peut peser. On doute, on se demande si ce qu’on écrit/lit est “trop commercial”, “pas assez bien”, “trop vu”.
Est-ce que le problème vient du genre ? Ou est-ce qu’il vient du regard que l’on porte dessus ?
Aujourd’hui, j’ai envie de mettre les pieds dans le plat. On va parler de ce que c’est, un genre littéraire. D’où ça vient, à quoi ça sert, et pourquoi c’est parfois un piège autant qu’un repère.
Sommaire
I. Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?
1. Définition d’un genre
2. Les grands genres littéraires : petit panorama non exhaustif
3. D’où viennent les genres littéraires ?
II. Évolution
1. Les sous-genres littéraires : une richesse (parfois un piège)
2. Le monde du livre est-il élitiste ?
Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?
Définition d'un genre
Le genre littéraire, c’est une manière de classer les œuvres selon des caractéristiques communes : thème, style, structure, ambiance, époque, etc.
C’est une étiquette qui aide les lecteurs à savoir à quoi s’attendre… et les libraires à ranger leurs rayons.
Cette classification, même si utile, n’est pas neutre. Elle oriente les attentes, les jugements, les choix de lecture et, parfois, même les carrières. Certains genres ouvrent des portes, d’autres vous enferment dans des cases.
Pourtant, impossible de s’en passer. Le genre, c’est à la fois un outil marketing, une promesse faite au lecteur, et une contrainte à dépasser.
Les grands genres littéraires : petit panorama non exhaustif
Il existe des dizaines de genres littéraires, et encore plus de sous-genres.
Voici un petit aperçu des principaux, ceux que vous croiserez en librairie, en salon, ou dans la bouche des lecteurs quand ils vous demandent “vous écrivez quoi comme genre ?”
⚔️ La Fantasy
Dragons, royaumes, prophéties, magie, grandes quêtes et complots politiques.
La fantasy propose un univers totalement inventés, avec ses propres règles. Le mot vient de l’anglais.
En français, faute de mots, on a longtemps appelé ça le merveilleux.
Exemples connus : Le Seigneur des Anneaux de J.R.R Tolkien, La Passe-Miroir de Christelle Dabos, Game of Thrones de George Martin.
➡️ Souvent méprisée dans les milieux “sérieux”, mais adorée par un lectorat fidèle.
🧛 Le fantastique
Ici, le surnaturel s’invite dans un monde réaliste. Il se passe quelque chose d’inexpliqué dans notre monde à nous.
Le doute est au cœur du récit : est-ce que c’est réel, ou est-ce que le personnage est entré dans la folie ?
Exemples : Le Horla de Guy de Maupassant, Shining de Stephen King.
➡️ Moins codifié que la fantasy, il laisse souvent une grande place à l’incertitude.
🚀 La science-fiction
Voyages interstellaires, IA, sociétés futuristes…
La SF imagine le futur (proche ou lointain) à travers les prismes de la science, de la technologie, ou de la politique.
Exemples : Dune de Frank Herbert, 1984 de George Orwell, La Servante écarlate de Margaret Atwood.
➡️ Genre puissant pour interroger le présent en parlant du futur.
💕 La romance
Le genre le plus vendu, le plus lu… et souvent le plus dévalorisé dans le milieu littéraire.
La romance met l’amour au centre, avec ses codes : tension, obstacles, résolutions (plus ou moins heureuses).
Exemples : Orgueil et Préjugés de Jane Austen, After d’Anna Todd, Les Chroniques de Bridgerton de Julia Quinn.
➡️ Souvent jugé par ses détracteurs pour ne s’adresser qu’à un public jeune et inculte (oui, le préjugé est fort sur ce genre).
🕵️ Le polar et le thriller
Crimes, enquêtes, mystères, rebondissements…
Le polar suit souvent un enquêteur ; le thriller, lui, joue sur la tension et la peur.
Exemples : Millénium de Stieg Larsson, Da Vinci Code de Dan Drown, Le Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie.
➡️ Hyper populaire, forte saisonnalité, ce genre se vend très bien en librairie.
🕰️ L’historique
Romans ancrés dans une époque passée, avec souvent un travail de recherche documentaire poussé.
Exemples : Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, Les Piliers de la Terre de Ken Follett.
➡️ Mélange parfois avec d’autres genres : historique + romance, historique + polar…
🌍 Le contemporain et la littérature générale
On appelle “contemporain”, ce qui se passe ici et maintenant, dans le monde tel qu’il est. Le plus souvent écrit par des auteurs qui sont nos contemporains.
On y range aussi les romans “inclassables”, ceux qui ne jouent pas sur des codes de genre clairs.
Exemples d’auteur·ices : Delphine de Vigan, Annie Ernaux, David Foenkinos.
➡️ Considéré comme plus “littéraire” dans certains milieux, ce qui n’est pas forcément justifié. Ce sont les titres qui sont soumis aux prix littéraires : Goncourt, Renaudot, Interallié, Femina, Médicis…
D’où viennent les genres littéraires ?
Les genres ont évolué au fil du temps.
Souvent, l’évolution s’est justifiée avec les attentes du public, les innovations techniques (imprimerie, presse, numérique), les contextes sociaux et les conditions marketing (maisons d’édition, librairies).
✒️ Antiquité & Moyen Âge
Au départ, on distingue surtout trois grands genres classiques :
- l’épopée (ex. L’Iliade de Homère)
- la tragédie (ex. Phèdre de Racine).
- et la comédie (ex. Le Roman de Renart).
Pas de “roman” à proprement parler. Les récits sont souvent oraux, puis retranscrits. On est loin des catégories modernes.
📜 Renaissance et XVIIIe siècle
Le roman commence à se développer en tant que forme. Avec l’arrivée de l’imprimerie, les textes sont plus facilement diffusés et l’alphabétisation progresse.
Le roman est vu comme un genre mineur, frivole, “pour les femmes” (déjà). Il est opposé aux essais philosophiques et scientifiques du siècle des Lumières (Voltaire, Denis Diderot, Emmanuel Kant…).
La poésie et le théâtre gardent le prestige.
📚 XIXe siècle : explosion du roman
C’est le grand boom. Le roman devient le genre dominant. Avec lui, apparaissent :
- les feuilletons (ex. Alexandre Dumas, Victor Hugo, Emile Zola, Arthur Conan Doyle)
- les genres populaires : roman d’aventure, roman sentimental, roman gothique…
C’est aussi à ce moment-là que se dessine une hiérarchie implicite entre “littérature noble” et “littérature de gare”.
🚀 XXe siècle à aujourd’hui
Les genres explosent et se diversifient : science-fiction, fantasy, young adult, chick lit, autofiction, etc.
Le lectorat devient plus large, plus varié (alphabétisation, baisse du coût du livre, meilleur accès à la culture).
Mais le monde de l’édition, lui, reste souvent figé dans une vision très scolaire des choses.
Évolution

La littérature et les auteurs ont évolué plus vite que le monde de l’édition.
Les lecteurs sont attirés par des histoires et des mondes. Ensuite, les éditeurs repèrent ces intérêts et décident de les mettre en avant pour les exploiter et les diffuser.
On voit alors l’apparition des sous-genres littéraires et de catégories qui n’existaient pas auparavant. Elles sont l’expression de l’évolution des écrits.
Les sous-genres littéraires : une richesse (parfois un piège)
Aujourd’hui, chaque genre a ses déclinaisons. On ne parle plus juste de “romance” ou de “SF”, mais de :
- dark romance, slow burn, enemies to lovers…
- hard SF, space opera, dystopie…
- low fantasy, grimdark, urban fantasy…
- cozy mystery, thriller domestique…
Ces sous-genres permettent aux auteurs de cibler leur public plus précisément. Mais ils peuvent aussi enfermer dans une niche ou donner l’impression qu’il faut cocher toutes les cases d’un “modèle” pour exister.
📌 Mon conseil : s’inspirer des codes sans se sentir obligé·e de tous les suivre. Votre histoire passe avant l’étiquette.
Le monde du livre est-il élitiste ? (Spoiler : oui)
Revenons à mon professeur-éditeur de 2016. Ce n’était pas un cas isolé.
Dans beaucoup de formations littéraires, on étudie surtout les grands auteurs classiques, les genres “sérieux”, les textes reconnus. Et ce regard élitiste se retrouve aussi chez :
- certains éditeurs
- les jurys de prix littéraires (avez-vous déjà regardé qui attribuait ces prix ?)
- les médias culturels (de quels livres parle-t-on sur la page livre d’un magasine grand public et non spécialisé ?)
Des genres entiers sont méprisés.
Pas pour leur qualité, mais pour leur popularité. Certains jugent la qualité d’un livre à son genre, sans même le lire.
On érige J.R.R Tolkien sur un piédestal, mais on méprise d’autres auteurs du genre, trop populaires, trop accessibles, trop contemporains. On juge un genre à son lectorat principal : le manga, la littérature jeunesse et la bande-dessinée ne seraient destinées qu’aux enfants et n’auraient aucune qualité.
Quid des récits jeunesse avec des niveaux de lecture doubles, voire triples ?
Exemples : À la croisée des mondes de Philip Pullman (jeunesse), Soul Eater de Atsushi Ōkubo (manga), L’Atelier des Sorciers de Kamome Shirahama (manga), La Quête d’Ewilan de Pierre Bottero (jeunesse), Les Vieux Fourneaux de Lupano & Cauuet (BD), Qui es-tu Alaka ? de John Green (jeunesse)…
Notons ici que les romans de Philip Pullman, John Green et Pierre Bottero ont été réédités en édition adulte. Les éditions jeunesse ont le même texte que les éditions adulte. Pourtant, l’édition adulte sert à viser un public adulte, comme si celui-ci ne pouvait pas directement lire un roman jeunesse, comme si le roman jeunesse ne méritait pas l’attention d’un public adulte.
Écrire de la fantasy, de la jeunesse ou de la science-fiction, ce serait “facile”. Vendre beaucoup, ce serait “suspect”, révélateur d’une écriture “pauvre”. Écrire pour le plaisir des lecteurs, ce serait “moins noble”.
En tant qu’auteur indépendant, vous êtes peut-être déjà confronté à ce double regard :
– d’un côté, vos lecteurs adorent votre genre.
– de l’autre, certains pros du livre le regardent de haut.
Pourtant, les exemples cités plus haut révèlent le potentiel multiple d’un genre et les regards évoluent en ce sens.
Bonne nouvelle : ce regard est en train d’évoluer.
Les libraires, les bibliothécaires, les lecteurs sont de plus en plus curieux, ouverts, et friands de bons livres, quel que soit leur genre.
De nouveaux rayons apparaissent dans les lieux du livre pour diversifier l’offre en réponse à la demande (rayons romance adulte, rayons young adult, rayons témoignages, rayons récits de voyage…).
Les éditeurs, avec l’attrait financier que cette évolution amène, ne se bornent plus à un genre littéraire. Ils commencent à s’adapter eux aussi.
De nouveaux prix littéraires ont également vus le jour pour mettre en avant cette diversité littéraire (Prix du Quai des Orfèvres en 1946, Prix Nebula en 1966, Grand Prix de l’Imaginaire en 1974, Prix du Livre Romantique en 2016…).
Alors, votre genre… il "vaut" quoi ?

Vous l’aurez compris : il n’y a pas de “bons” ou de “mauvais” genres littéraires.
Il y a des textes bien écrits et construits, et d’autres moins aboutis — peu importe qu’on parle de poésie ou de fantasy.
Votre genre littéraire, c’est votre terrain de jeu. C’est là que vous expérimentez, que vous racontez, que vous allez chercher les émotions.
Et ça, aucun prof, aucun critique, aucun algorithme ne pourra vous l’enlever.
Ce qui compte vraiment, c’est ce que vous, vous faites de ce genre. Est-ce que vous le maîtrisez ? Est-ce que vous le tordez, l’explorez, le réinventez, l’assumez ? Est-ce que vous le défendez avec passion ?
Le but de l’écriture, et de la publication d’un livre, reste de partager son univers, son histoire et son imaginaire avec ses lecteurs.
Parce qu’au fond, le genre, ce n’est pas une prison : c’est un point de départ.
Et vous êtes libre d’en faire ce que vous voulez.